"La gratitude se réjouit de ce qu’elle doit, quand l’amour-propre préférerait l’oublier."
André Comte-Sponville « Dictionnaire de Philosophie »
« Compter, devoir, est-ce ainsi que se mesure la gratitude? mais l’ai-je assez remercié ?, ai-je suffisamment montré ma reconnaissance?, ai-je été assez proche, assez présente, assez constante? »
Delphine de Vigan « Les Gratitudes »
Des mercis, il en existe de nombreux, de toutes sortes, de toutes variétés :
des mercis polis, des inattentifs, des courageux,
des mercis professionnels, des universels,
des mercis exigés, donnés, soulagés,
des mercis de complaisance,
des mercis pris,
des mercis dis, entre ses dents.
Des mercis tendres, des mercis doux,
des mercis floués, lésés,
des mercis agacés dis, de mauvaise grâce.
Mais alors, que dire de la gratitude ?
Elle est un mystère... une énigme... une équation...qui peut-être se resout dans l’alchimie du don et du contre-don d’une relation.
Le "merci " de la gratitude reconnaît avant tout celui à qui il s’adresse. Authentique, profond, joyeux, il est un pont, une passerelle entre elle et lui, l’un et l’autre, entre celui qui donne et celui qui reçoit.
"Merci", dilate le cœur, ouvre des possibles. Des uns aux autres, il tisse le lien fragile et précieux de la confiance : accueillir et dire « merci » supposent l’absence de carapace, pas de quant-à-soi, pas de défense, mais une possibilité pour celui à qui l’on s’adresse d’accéder à nos failles, nos fragilités, notre vulnérabilité. Merci est alors le mot de la fiabilité, de la sincérité, de l’honnêteté. Peuvent le dire et l’entendre ceux qui se sont apprivoisés, qui n’ont peur ni de leur environnement, ni d’eux-mêmes, qui peuvent s’abandonner, s’en remettre à d’autres sans se sentir diminués, servir les autres sans se vouloir supérieurs.
Car le don peut-être écrasant et rapace, rendre parfois difficile à franchir la distance entre soi et l’autre : l’on veut se montrer plus grand, plus fort, plus généreux. On attend et on exige le " merci" : donner ne va pas sans perdre. Et pourtant, la gratitude ne nous enlève rien : c’est un don en retour, mais sans perte. La gratitude n’a rien à donner, que ce plaisir d’avoir reçu.
Pacte d’alliance. Simplicité. Ouverture à l’imprévisible. Loin de la peur de devoir, de la peur de dépendre, de celle de se faire avoir ou de la peur de l’autre.
Vécu ainsi, merci est un "état de grâce", chacun dans les "bonnes grâces" de l’autre, dans un mouvement qui porte vers l’avant : sésame réciproque de la gratitude qui réjouit tout autant celui qui donne que celui qui reçoit. Joie des dons reçus et partagés. Une joie humble qui sait reconnaitre la valeur de la vie offerte, celle de celui qui donne. Invitation à faire fructifier ce qui nous est donné, dans un à-venir. De la reconnaissance du service rendu à la joie qui accompagne une présence attentive et aimante, la gratitude mène ainsi « à l’action de grâce », à la célébration de l’infinie et mystérieuse fécondité de la vie.
«Rendre grâce », c’est partager.
Cette joie, elle n’est pas uniquement pour celui qui reçoit mais aussi, et surtout, pour celui qui donne à son tour. Cercle dans lequel circule, fluide et essentiel, le lien qui nous lie, nous relie qui ne demande et n’attend rien, que ce bonheur en partage. Souffle de l’amitié, espérance en l’autre : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi » disait Montaigne à propos de son amitié avec La Boétie, « Merci d’exister » se disent-ils l’un à l’autre, au monde, à l’univers.
Interdépendance des êtres, brèche dans l’économie de l’échange et de l’équité.
La gratitude fonde ainsi, les souvenirs joyeux de ce qui est et de ce qui fut. Est-elle un remède au regret de ce qui a été, à la souffrance de ce qui n’est plus et qui, irréversiblement, ne reviendra pas ? La mort ne nous prendra que le futur qui n’est pas encore mais ne peut nous priver du souvenir pleinement vécu, pleinement partagé qui a été.
La gratitude comme antidote à la mort...
« C’est vrai, c’est pénible à la fin. On croit toujours qu’on a le temps de dire les choses et puis soudain, c’est trop tard. On croit qu’il suffit de montrer, de gesticuler, mais ce n’est pas vrai. Il faut dire. "Dire", ce mot que vous aimez tant. Ça compte les mots, ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre, vous qui avez été correctrice pour un magazine, si je ne me trompe. »
Delphine de Vigan, « Les gratitudes ».
Puisque les mots comptent, un grand, un immense, MERCI, un merci reconnaissant, joyeux, ému et chaleureux à tout ceux et celles qui ont fait, à un moment ou un autre sur mon chemin, que ce texte existe.
Merci à ceux et celles qui sont là depuis longtemps, pour certains depuis l’origine.
merci à ceux et celles que je n’ai croisé qu’un instant,
merci à ceux et celles qui sont là assidûment,
merci à ceux et celles qui sont là ponctuellement,
merci à ceux et celles qui seront là demain,
merci à ceux et celles qui sont absents.
Merci aussi à ceux et celles qui m’apprennent l’humilité, la patience, la résistance.
Sans vous tous, je ne serai pas celle que je suis aujourd’hui.
MERCI.