« Une fois la tempête passée, tu te demanderas comment tu as fait pour survivre. Tu ne seras pas très sûr, en fait, qu’elle soit achevée. Mais soit certain d’une chose : une fois que tu auras essuyé cette tempête, tu ne seras plus le même. Tel est le sens de cette tempête»
Haruki Murakami « Kafka sur le rivage ».
Au commencement était la légende :
Une légende raconte qu’à la fin du XVes le Shogun Ashikaga Yoshimasa ( 1435 -1490 ) ayant cassé son bol à thé favori, émis le souhait de voir ce dernier réparé. Le bol fut alors renvoyé d'où il provenait, c'est-à-dire de Chine, dans les mains d'artisans réputés habiles et pouvant satisfaire la demande du souverain.
Après un long moment, le bol revint au Japon, mais le Shogun ne fut pas satisfait de la réparation. En effet, les morceaux étaient tenus entre eux par des agrafes métalliques plus que disgracieuses et qui ne rendaient pas réellement l'objet utilisable puisque ne comblant pas les fissures entre chaque morceau. Ashikaga Yoshimasa aurait alors demandé aux artisans japonais de trouver une technique autre susceptible de rendre son bol beau et à nouveau utilisable..
C’est ainsi que naquit le Kintsugi, la réparation à la laque d’or, l’art de sublimer les fêlures, les cassures des objets, non pour les dissimuler mais pour les mettre en valeur avec de la laque, de la poudre d’or, d’argent ou d’autres minéraux.
Subir le choc, sentir le craquement.
Sidération, souffle coupé.
Temps suspendu.
Douleur.
Blessure, fêlure, cassure.
Patience. Acceptation.
Pensez la blessure, la fêlure, la cassure.
Stabiliser le balancier du temps au présent.
Passé révolu.
Détachement.
Le regarder s’éloigner.
Conscience de sa présence.`
Sous-peser son importance,
Se délester de son poids.
Soulagement.
Renouveau du souffle.
Panser sa blessure, sa fêlure, sa cassure.
Se sentir en vie,
Retrouver des en-vies,
Recouvrer sa place dans l’univers, dans son univers,
Être à nouveau uni-vers.
Enluminer ses blessures, ses fêlures, ses cassures,
Ses lignes de faille.
Plus tout à fait le même,
Pas tout à fait un autre,
Plus fort de sa fragilité,
D’être passé par l’épreuve.
Traces de ce pas-sage,
De cet apprenti-sage.
Au dénouement est le conte :
Une vieille dame allait chercher de l’eau chaque jour à la source en portant deux pots suspendus de chaque côté au bout d’un bâton. L’un des pots était intact. L’autre était fêlé. La route était longue d’ici à la source. Et, bien sûr, au retour, le pot intact était encore plein. Mais le pot fêlé avait perdu de l’eau tout au long du chemin et n’était plus qu’à moitié rempli.
Pendant 2 ans, tous les jours, la vieille dame ne rapportait donc qu’un pot et demi d’eau chez elle.
Le pot intact était très fier de son travail. Le pot fêlé quant à lui, se sentait diminué et inutile : il avait honte et était triste de ne pouvoir faire son ouvrage qu’à moitié.
Considérant son échec et n’y tenant plus, au bout de deux ans le pot fêlé s’adressa à la vieille dame avec ces mots : « j’ai honte de moi car tous les jours, je laisse échapper de l’eau précieuse ».
La vieille dame lui sourit et dit : « Vois tu les fleurs qui se trouvent d’un côté du chemin et pas de l’autre ? C’est de ton côté qu’elles ont poussé grâce à l’eau que tu laisses suinter tous les jours. J’ai toujours su que tu étais fêlé. C’est pourquoi j’ai semé des graines de ton côté afin qu’elles fleurissent. C’est toi qui les arrosent tous les jours, jours après jours! Je te remercie pour toutes les belles fleurs qui illuminent ma maison, chaque jours, grâce à ta fêlure… »
